Il n’y a eu qu’un seul général Marshall. Le 5 juin 1947, quand il présente son plan à l’université d’ Harvard, sans doute ne soupçonnait-il pas qu’il deviendrait une référence en terme de mesures compassionnelles et illusoires. 45 ans après Jacques Chirac, candidat à l’élection présidentielle, parle d’un « plan Marshall pour les banlieues ». 60 ans après, le candidat Sarkozy utilise la même expression. Mais, comme l’aurait dit Lapalisse, l’histoire appartient au passé, et la faire resurgir – en la trahissant de plus- ne fait que pointer les carences d’une société dans laquelle même l’avenir est voué à devenir réactionnaire. Le meilleur service rendu aux banlieues, plus que les promesses de construction et d’investissement qui ont tout à voir avec une stratégie électorale à obsolescence incorporée, c’est sans doute ce documentaire, diffusé lundi 29 septembre sur Canal+ avant sa sortie en salle. 93, mémoire d’un territoire, de Yamina Benguigi, raconte l’histoire vraie d’un département sujet, depuis le XIXème siècle, à une triple ségrégation.
D’abord il est un ghetto ouvrier, où s’implantent de nombreuses entreprises, où coexistent des travailleurs de toutes origines, pour cause de révolution industrielle et de reconstruction. Des boulots pénibles, souvent des usines à tuer. Vient ensuite, en conséquence de la première, une deuxième ségrégation, politique celle-ci. La « banlieue rouge » compte, dans les années 1960, 39 communes sur 40 administrées par des socialistes ou des communistes. Les souvenirs de la révolte de 1848, ou de la Commune de Paris vingt-deux ans plus tard, viennent alimenter une peur de la banlieue, aux mains de mouvements révolutionnaires. Cette psychose imaginaire revient à la surface en novembre 2005, quand l’état d’urgence est déclaré par le gouvernement Villepin. Enfin la désindustrialisation, particulièrement importante en seine Saint-Denis, a plongé la plupart des familles dans une situation de pauvreté extrême, exaltant les tensions ethniques pour créer un troisième niveau de ghettoïsation, encore plus dégénératif.
C’est un documentaire poignant, ou se mêlent présent et passé jusqu’à la confusion, à tel point que la réalisatrice elle-même avoue s’être perdue, une nuit de montage, entre des images d’archives et des prises de vues récentes. Yamina Benguigi écorne tous les préjugés, véhiculés par qui vous savez, de la famille assistée, du jeune délinquant, des parents irresponsables et du désespoir immortel.
Le plan Marshall avait été conçu pour aider les pays d’Europe à se reconstruire après-guerre, et éviter la propagation du communisme, encore lui, dans une période d’instabilité et de ruines. Mais pourquoi ré injecter de l’argent dans le département le plus riche de France ? Parce que c’est la solution la plus simple, parce que c’est bien connu, l’argent résout tout.
Ce n’est pas avec des milliards d’euros qu’on n’a pas que les problèmes disparaîtront, mais avec la volonté, que les pouvoirs publics ont encore moins, de désenclaver un territoire qui suffoque sous le poids des présupposés. L’œil du cinéaste est impitoyable…
LOUIS AMAR
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire