mardi 5 février 2008

France - La Société Jetable.

Les siècles se suivent et se complètent. Le XXe était celui du jetable, le XXIe devient celui des jetés.

La mondialisation porte en elle une surenchère concurrentielle qui fait que l'homme - plus particulièrement le travailleur - est inféodé à ce qu'il produit. Il n'est plus la fin mais un moyen, la « variable d'ajustement » des marchés. Il convient de se séparer de lui en fonction des résultats économiques. Il est désincarné.
Ce passage du sujet à l'objet est en fait un travail de longue haleine. En effet, le siècle dernier était celui des transformations profondes, entraînées par les progrès liés à l'industrialisation. Ainsi à partir des années 1960 sont apparus les objets dits « jetables », à utilité unique. Le kleenex remplace le vieux mouchoir en tissu, l'appareil photo non rechargeable, les couches-culottes en latex sont autant d'illustrations d'une arrivée inéluctable dans l'ère des jetés. Ces créations, évidemment simplificatrices du quotidien, préfiguraient cependant une expansion du mot « jetable ».

Les années 2000, elles, constituent la période la plus dense en matière de licenciements, de plans sociaux ou de délocalisations. Moulinex, Hewlett Packard, Wanadoo, Alcatel, Vivendi, Arcelor, Reynolds ou Michelin - pour ne citer que les plus célèbres - se sont séparés d'un nombre conséquent de leurs salariés entre 2001 et 2007. Pourtant, la majorité de ces entreprises était en situation de profits : il s'agit donc de l'accroître encore, via une main d'œuvre moins chère, ou des règes de protection sociale moins strictes. À l'image d'un simple appareil photo remplissant sa fonction, l'homme satisfait les besoins de son entreprise, mais est jeté quand même.
"Ainsi à partir des années 1960 sont apparus les objets dits « jetables », à utilité unique. Le kleenex remplace le vieux mouchoir en tissu, l'appareil photo non rechargeable, les couches-culottes en latex sont autant d'illustrations d'une arrivée inéluctable dans l'ère des jetés."

Mieux encore, ces dernières années nous ont offert l'exemple le plus symptomatique de cette triste transition. L'entreprise française Bic, née en 1944 et depuis spécialisée dans les objets jetables (briquets, rasoirs ou stylos, entre autres) a suivi l'évolution de ce nouveau millénaire. En 2005, un plan de restructuration a conduit à la fermeture de deux usines aux Etats-Unis, dans le Connecticut et l'Iowa.

Voici comment, en quelques années, les trajectoires humaines sont devenues dépendantes des trajectoires conjoncturelles : l'homme est chéri en période d'excédent, et il est laissé en temps de déficit. Il a perdu sa place centrale, est aléatoirement traité, selon l'ironie destructrice de l'arroseur arrosé : lui qui usait et abusait du jetable est victime de sa propre consommation.

C'est ici la principale innovation du XXIe siècle, ici la manifestation majeure d'un nouvel ordre mondial. Le travailleur ne sert plus qu'une fois.

LOUIS AMAR

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